Entretien avec Pr Brigitte Gilbert-Dussardier
Nous sommes heureux de célébrer la journée mondiale des femmes scientifiques avec un entretien spécial avec le Pr Brigitte Gilbert-Dussardier qui est cheffe du Service de Génétique du CHU de Poitiers.
Question 1: Qu’est-ce qui a déclenché votre passion pour la science ?
J’ai toujours préféré les mathématiques aux autres matières, donc plutôt scientifique. Après mon bac à 16 ans, n’ayant aucune idée de ce que je voulais faire, j’ai fait une année de Maths Sup, à l’issue de laquelle, pour une raison inconnue à ce moment-là, mais que j’ai comprise plus tard, je me suis orientée vers la médecine, puis la pédiatrie, puis la génétique. J’ai compris beaucoup plus tard que, étant la seule non malade de ma fratrie, j’avais « quelque chose à réparer ». Impliquée dans la cancérologie pédiatrique, ma thèse a porté sur le rétinoblastome : tumeur cancéreuse de la rétine chez l’enfant, 1ère cancer décrit d’origine génétique. Cela a sans doute trouvé une résonance en moi, et je me suis orientée vers la génétique.
Question 2: Comment avez-vous développé un intérêt pour la mRO ?
Les maladies rares sont souvent d’origine génétique. En exerçant la génétique clinique (consultations de patients atteints ou concernés par les maladies génétiques), j’ai été directement confrontée aux maladies et handicaps rares. En arrivant à Poitiers en 2002, j’ai découvert que de nombreux patients atteints de la maladie de Rendu-Osler étaient suivis par un collègue ORL. Il y avait dans les Deux-Sèvres (ex région Poitou-Charentes) plus de patients atteints qu’ailleurs, en raison de 2 mutations fondatrices dans le gène ACVRL1, l’une dans la région de Parthenay et l’autre de Bressuire.
Question 3: Quel est l’impact de votre travail sur la vie des patients atteints de la mRO ?
La maladie de Rendu-Osler touchant plusieurs organes, j’ai tout de suite pris conscience que les patients étaient « écartelés » entre les différents spécialistes qui ne se parlaient pas. Avec difficulté, j’ai fini par trouver des collègues, plutôt jeunes, qui ont accepté de prendre en charge la maladie dans sa globalité, avec des Réunions de Concertation Multidisciplinaire (RCP), pour une meilleure prise en charge. Puis, la connaissance des gènes en cause dans cette maladie a permis de dépister dans les familles les personnes / enfants à risque, de dépister certaines localisations de la maladie et de les traiter avant la survenue de complications graves.
L’organisation en réseau national, avec le centre de référence de Lyon, nous a permis de participer à des essais cliniques montrant l’efficacité de certains traitements dont les patients bénéficient aujourd’hui.
Question 4: À quelles difficultés une femme impliquée dans la science doit-elle faire face ?
Pendant toutes mes études et jusqu’à un âge assez avancé, je ne me suis pas posé la question de femme-homme. Pendant mon activité de pédiatrie, il était quand même difficile de gérer le travail avec nombreuses gardes, parfois de plus de 48H, et 3 enfants. Mais je n’osais pas se plaindre.
Le problème est venu quand, dans le CHU où j’exerçais, je n’ai pas eu le poste de professeure auquel j’avais droit : « ils » ont pensé que je pouvais attendre, et fait venir un homme de l’extérieur. J’ai ressenti une profonde injustice et accepté un poste de professeure dans un autre CHU : Poitiers.
Question 5: Quel message aimeriez-vous transmettre aux jeunes filles intéressées à devenir scientifiques ?
Ayez confiance en vous ! Ne vous inclinez pas devant l’ordre établi. Faites ce que vous avez envie de faire, et n’écoutez pas ce qui peut vous être dit : « pas compatible avec une vie de famille » par exemple.