La catégorie des » maladies rares » est née des interactions entre pouvoirs publics, patients et industrie pharmaceutique à la suite d’un renforcement de la législation américaine sur les médicaments.
L’expression de « maladies rares » pour désigner l’ensemble des maladies peu fréquentes est apparue au milieu des années 1970 aux États-Unis. Elle a été dotée d’un contenu précis en 1984, dans l’Orphan Drug Act. Cette loi définit comme rares toutes les maladies non-rentables ou qui touchent moins de 200 000 personnes aux États-Unis (Mucoviscidose, syndrome de l’X fragile, Locked-in syndrome par exemple), et permet aux médicaments ayant une indication pour l’une de ces maladies d’y bénéficier du statut de » médicament orphelin « . La combinaison de ces deux notions est le résultat d’un long et sinueux processus. Pour comprendre l’histoire des maladies rares, il faut aussi comprendre celle des médicaments orphelins.
En 1962, aux États-Unis, le Food, Drug and Cosmetic Act de 1938 est renforcé par les amendements Kefauver-Harris: pour être autorisée à commercialiser un médicament, une entreprise devra prouver non seulement son innocuité, mais aussi son
efficacité. Cette nouvelle exigence s’applique rétroactivement. Chaque médicament commercialisé depuis 1938 ne sera autorisé à rester sur le marché que si l’entreprise qui le produit prouve son efficacité ; les médicaments jugés inefficaces, nocifs ou non testés devront être retirés. Ce schéma ne correspond pas à la réalité de l’application des amendements, et cela crée des situations problématiques. D’une part, certains patients se voient privés de traitement parce que leur médicament, bien qu’efficace à leurs yeux, n’a pas été testé et n’est plus autorisé aux États-Unis. Ces patients protestent individuellement en cherchant à faire valoir leurs droits en tant que consommateurs.
D’autre part, certains médicaments non testés, restent physiquement présents dans les pharmacies hospitalières, mais ne peuvent être délivrés aux patients. Ces médicaments sont appelés médicaments « sans abri » ou « orphelins » . En 1968, l’association américaine des pharmaciens hospitaliers demande à la Food and Drug Administration de trouver une issue.Il faut attendre le début des années 1980 pour assister à deux percées, associative et législative. Des conférences réunissent alors des représentants des patients et de l’industrie sous l’égide de la Food and Drug Administration. Les représentants des patients tirent de ces rencontres le sentiment que leurs expériences présentent des caractéristiques communes fondées sur la rareté de leur maladie. Ils décident de s’unir sur cette base, et ils créent la première coalition d’associations de patients regroupant des patients ayant une maladie rare, la National Organization for Rare Disorders (NORD). En 1983, une loi est votée pour résoudre le problème des médicaments orphelins, l’Orphan Drug Act. Elle les définit comme des médicaments qui ne sont pas rentables parce qu’ils traitent des maladies peu fréquentes. Un problème se pose rapidement, car les entreprises qui veulent que leurs médicaments obtiennent ce statut doivent apporter la preuve de la non-rentabilité. Or une majorité d’entre elles ne veut pas divulguer cette information. En 1984, la définition des médicaments orphelins est modifiée par une deuxième version de la loi, qui introduit le seuil de 200 000 personnes aux États-Unis, et a pour effet de transformer une mobilisation de consommateurs en une mobilisation de malades.
Au milieu des années 1990, en France, l’industrie pharmaceutique voit dans le statut de médicament orphelin un outil de soutien à l’innovation et demande à l’administration de se pencher sur une possible transposition à la loi française ; celle-ci élargit le problème aux maladies orphelines, définies comme des maladies pour lesquelles peu de traitements sont disponibles, et se donne pour objectif l’adoption de dispositifs permettant d’améliorer la situation des personnes ayant une maladie rare. Il en résulte la création d’une coalition associative sur le modèle de NORD, Eurordis(European Organization for Rare Disorders), et l’adoption d’un règlement européen sur les médicaments orphelins en 1999. La dynamique associative et la création de différents dispositifs complémentaires (centres de consultation de référence, observatoire, annuaire…) ancrent les maladies rares dans le paysage sanitaire français, puis européen.
Auteure : Caroline HUYARD, « Rares (maladies) », dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2020.